Danse des guerriers

Chez les Batou­fam il existe plu­sieurs danses qui marquent les évè­ne­ments par­ti­cu­liers comme des rites ou des céré­mo­nies mor­tuaires. Le Meud­jouock est la seule repré­sen­ta­tive de l’i­den­ti­té du peuple uni à son roi.

Il s’a­git d’une danse guer­rière recon­nue au patri­moine natio­nal. Elle a lieu une fois par an depuis douze ans. C’est le seul moment où le roi se mêle au peuple afin de dan­ser avec lui.

Venus des quatre coins du Came­roun, des hommes du royaume Batou­fam exé­cutent au sein de la chef­fe­rie une danse qui sym­bo­lise la vic­toire de leur peuple et leur recon­nais­sance au sou­tien que leur a appor­té leurs ancêtres lors d’une bataille qui a eu lieu au dix-sep­tième siècle.

Les rois des vil­lages voi­sins, le peuple Batou­fam ain­si que d’autres peuples sont invi­tés à prendre part à l’é­vè­ne­ment, témoi­gnant ain­si leur soli­da­ri­té au roi et au peuple Batou­fam.

Habillés de beaux tis­sus – le Ndop sera exclu­si­ve­ment por­té par le roi, les notables et les Mà Fo – , parés de cha­peaux rares aux poils de che­vaux et armés d’épées pour défendre le royaume, les dan­seurs repré­sentent les guer­riers qui ont don­né leur vie pour la com­mu­nau­té dans le pas­sé.

En pays Bami­lé­ké la queue de che­val est un sym­bole de vic­toire sur l’en­ne­mi et sur la mort. Elle est éga­le­ment un mar­queur social (pou­voir, for­tune, nota­bi­li­té).

Quelques siècles aupa­ra­vant des guer­riers Peuls à che­val atta­quaient régu­liè­re­ment les Bami­lé­kés qui pani­quaient à la vue de l’a­ni­mal. Un jour pour­tant un Bami­lé­ké dépasse sa peur en atta­quant et en tuant un Peul ain­si que son che­val. Il ramène ensuite la queue de l’a­ni­mal au sein de sa chef­fe­rie pour prou­ver son his­toire. Cette queue sera bran­die tel un tro­phée et une légende nai­tra. Depuis lors la queue de che­val sera tou­jours pré­sente dans les céré­mo­nies Bami­lé­kées.

Si au dix-sep­tième siècle il s’a­gis­sait d’une guerre réelle, aujourd’­hui la danse du Meud­jouock sym­bo­lise le com­bat que doit mener tout homme dans sa vie au quo­ti­dien. Les dan­seurs ne sont pas sim­ple­ment des hommes qui exé­cutent des pas ryth­més fai­sant réfé­rence à la guerre, ils sont la méta­phore de tout jeune qui doit se confron­ter aux dif­fi­cul­tés (fami­liales, éco­no­miques, sani­taires) de la vie. Cha­cun a le devoir de se battre.

J’ar­rive à la chef­fe­rie deux heures avant le début de la danse.

L’é­vè­ne­ment est pré­vu au cœur de l’une des cours des habi­ta­tions des femmes. Cette immense place a pris une toute autre forme de vie : ce ne sont plus des femmes qui cui­sinent ou qui trient des hari­cots. Les hommes de la chef­fe­rie s’ac­tivent de par et d’autres, ils ter­minent les der­niers pré­pa­ra­tifs. Six cha­pi­teaux ont été mis en place et sont des­ti­nés aux invi­tés en fonc­tion de leur sta­tut social : les rois ; les femmes de la chef­fe­rie ; le peuple Batou­fam ; les invi­tés d’ailleurs ; les notables et autres repré­sen­tants d’ins­ti­tu­tions.

Roi de l'Amadaoua sous le chapiteau Ndop
Roi de l’A­ma­daoua sous le cha­pi­teau Ndop

Le cha­pi­teau qui abri­te­ra les rois est entiè­re­ment déco­ré de longs pagnes en Ndop vieux de 150 ans. Ceux-ci ont été trans­mis de père en fils au roi Nayang Tou­kam. Ils font par­tie de sa pro­prié­té sacrée et seront légués à sa mort à son héri­tier. Leur pré­sence signe l’im­por­tance de l’é­vè­ne­ment car ils assurent un lien entre les ancêtres et ce Meud­jouock de l’an­née 2023. Seuls les rois y com­pris ceux de chef­fe­ries non Bami­lé­kées peuvent s’en appro­cher.

Dans la cour, il y a déjà du mou­ve­ment. Cer­tains hommes répètent ce qui semble être une scène de guerre, d’autres déposent à des endroits pré­cis des cos­tumes d’ap­pa­rats et des ins­tru­ments de musique. Mon appa­reil pho­to intrigue. Beau­coup d’hommes viennent vers moi, prennent la pose, me montrent fiè­re­ment la manière dont ils sont vêtus. Les sou­rires sont spon­ta­nés et c’est natu­rel­le­ment que cha­cun m’in­vite à prendre celui sur sa gauche ou sur sa droite en pho­to.

Les invi­tés arrivent au fur et à mesure. Je suis éton­née par le mélange des classes sociales et la manière dont cha­cun échange avec l’autre comme si tous se connais­saient depuis de longues années. Ils se saluent, ils se sou­rient, ils rigolent ensemble.

Inter­pel­lée par le son venant d’une sorte de cor, je rejoins l’esplanade de la grande case du peuple. La céré­mo­nie semble y débu­ter. Des hommes arrivent de toute part. Leur entrée en danse se fait de tous les côtés : cela me fait pen­ser à une stra­té­gie de guerre pour attra­per les enne­mis dans une embus­cade. Une grande parade caden­cée com­mence alors sous les chants des dan­seurs. Ils trans­portent en hau­teur sur leur bras dif­fé­rents arbustes et bois qu’ils dépo­se­ront plus tard en offrande dans la cour qui accueille­ra leur danse.

Le roi arrive accom­pa­gné de son gué­ris­seur et de son pre­mier notable. La foule s’ex­cite.

Cha­cun d’eux est vêtu dif­fé­rem­ment.

Le notable porte un cos­tume entiè­re­ment fait d’un Ndop qui semble très ancien. Lors­qu’il passe près de moi je dis­tingue clai­re­ment les rubans de son tis­su cou­sus bord à bord pour réa­li­ser le grand métrage du cos­tume. Il est en coton fin, teint d’un bleu indi­go et de la cou­leur ocre que donne la Kola. Sur la tête il porte un cha­peau aux poils de che­vaux d’en­vi­ron 80cm et aux pieds, des son­nailles.

- Les son­nailles sont un ins­tru­ment de musique tra­di­tion­nel en Pays Bami­lé­ké. Il est atta­ché aux che­villes et aux poi­gnets de dan­seurs pour sou­li­gner la ryth­mique de leurs mou­ve­ments. Il se com­pose d’une grappe de coques de fruits séchés ou de mor­ceaux de cale­basse secs reliés par une corde elle-même tres­sée sur un bra­ce­let en toile (quelques fois en jute). Une fois confec­tion­né il mesure entre 20 à 30 cm de haut. -

Le gué­ris­seur porte un haut-cos­tume fait d’un Ndop qui semble lui aus­si très ancien. A sa vue je me rap­pelle notre entre­vue de la semaine pré­cé­dent cet évé­ne­ment où il m’a­vait indi­qué que j’au­rai la chance de voir le Ndop qu’il avait héri­té de ses aïeux. Sur celui-là les rubans de son tis­su sont éga­le­ment cou­sus bord à bord pour réa­li­ser le métrage du cos­tume. Il est en coton fin et teint seule­ment du bleu indi­go. Son pan­ta­lon en coton est bouf­fant, d’une cou­leur majo­ri­tai­re­ment fushia, il est tra­ver­sé par de longues lanières de Ndop qui semblent assem­blées dès la concep­tion du pan­ta­lon. Sur la tête il a éga­le­ment un cha­peau aux poils de che­vaux d’en­vi­ron 80cm et aux pieds des son­nailles.

Sur la tenue du roi en revanche le Ndop n’ap­pa­rait pas mas­si­ve­ment mais à plu­sieurs endroits. En haut il porte une veste sans manches ornées de par et d’autres par des lanières de Ndop, du cuir, des poils et dents de pan­thère. Son pan­ta­lon est sem­blable à celui de son gué­ris­seur mais il n’est pas uni et contient beau­coup plus de lanières en Ndop. Sur la tête il a éga­le­ment un cha­peau aux poils de che­vaux d’en­vi­ron 30cm et aux pieds il a lui aus­si des son­nailles. Tous trois ont dans une main une épée et sous un bras un tam­bour et un sac orné de cau­ris (sym­bole de richesse). Le roi par­ti­cu­liè­re­ment res­semble à un chef de guerre.

Ensemble, ils font des pre­miers pas de danse qui sont accueillis par les cris de joie des dan­seurs. Le cor­tège se dirige vers la grande cour et accom­pagne le roi vers son cha­pi­teau. Dès le moment où le roi s’assoit une scène de guerre est jouée au centre de la cour. Les vain­queurs ramènent au roi ce qui semble être le « per­dant ». Lorsque ce der­nier est dépo­sé au sol devant le roi, les bat­teurs de tam-tam au centre de la cour se mettent à jouer un air très entrai­nant.

C’est le signal de départ et les dan­seurs se mettent en branle, exé­cu­tant des pas de danses agen­cés tout en for­mant un cercle, sym­bole du mou­ve­ment de la terre qui tourne autour du soleil et qui l’illumine d’un rythme éner­gé­tique. Très rapi­de­ment le roi se mêle aux dan­seurs et ce moment d’ex­hi­bi­tion de la culture devient un seul mou­ve­ment de joie, de cohé­sion, de rythme et d’é­mo­tions.

Pen­dant un ins­tant – de 30 minutes ! – j’ou­blie où je suis, à quelle époque et dans quel contexte je me trouve. Les pas ryth­més, les bat­teurs de tam-tam, la musique qui émane du centre de la cour et le fait d’être pris d’as­saut de toute part par les dan­seurs qui semblent main­te­nant n’être qu’un mou­ve­ment, m’a emme­né hors de tout. Moment à la fois trou­blant, extra-ordi­naire et indes­crip­tible dans ce qu’il est et dans ce qu’il contient d’é­mo­tions.

Peu à peu et sans que je ne m’en rende compte, le roi, les dan­seurs et la foule dis­pa­raissent de la grande cour un peu comme si tout ceci n’é­tait qu’un mirage. Je me retrouve à côté d’une per­sonne du peuple qui dis­cute comme si rien ne s’é­tait pas­sé. Je réa­lise la chance que j’ai eu d’être conviée par le roi à un tel moment.


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Commentaires

3 réponses à “Danse des guerriers”

  1. Avatar de Marco
    Marco

    dingue
    waaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaw
    magni­fique
    chance

  2. Avatar de Francis Odier
    Francis Odier

    Très beau repor­tage, on vou­drait y être. Je suis très sen­sible à la dua­li­té tra­di­tion — adap­ta­tion au temps pré­sent qui res­sort.

  3. Avatar de Sarah Rouillon
    Sarah Rouillon

    Mille mer­ci d’ avoir par­ta­gé cette expé­rience !
    Comme j’airai aimé pou­voir y etre , etre baigne au milieu de tout cela !

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