PRÉFACE par Baïlo Diallo (Sociologue, anthropologue, enseignant à l’Université de sociologie de Clermont-Ferrand)
En effet, l’Homme moderne ou le contemporain tout en étant dans une complexité indescriptible, perpétue la migration ou le voyage. Il est naturellement marcheur.
Il colporte avec lui cet invariant anthropologique, suit les traces de ses lointains ancêtres, reproduit les gestes de ces derniers en les améliorant parfois.
Fondamentalement migrant, l’Homme est quelquefois contraint de quitter son pays natal afin de s’installer dans un autre pays pour des raisons de sécurité, d’économie, de politique…
Mélissa vit en France, elle est à la fois camerounaise, malienne, française. Elle affiche et vit intérieurement son identité à la fois africaine et européenne. Elle assume dignement son génie créateur en qualité d’artiste tout en proposant de partager les fruits de son travail avec tous les aspects que cela peut revêtir.
D’une certaine manière, Mélissa est un trait d’union lucide entre l’Afrique centrale et l’Afrique de l’ouest d’une part, et entre ces deux sous-régions africaines et l’Europe notamment la France d’autre part. Elle préserve ce trait d’union, le nourrit avec ses oeuvres inspirées de ses milieux culturels et réalisées par son identité plurielle dans le respect des éléments constitutifs de cette identité.
Mélissa est par-dessus tout une citoyenne du monde éclairée et éclairante. Bien vivante, digne et généreuse, elle promeut sa citoyenneté mondiale avec un projet dont le principal prisme est son identité culturelle partagée entre africains-nes et européens-es. Ainsi, c’est sa manière de se déployer, de communiquer son énergie et son identité avec fierté sans oublier son Afrique, ses racines : son Cameroun natal, son cœur malien et sa culture française. Elle est radieuse et fière de porter cette identité plurielle dont elle savoure et fait savourer.
En bambara (langue du Mali), « Màari » signifie « laisser la trace de… »
Màari est un projet documentaire sur les traces du tissage artisanal sur le continent africain.
C’est un projet au long cours qui comportera un certain nombre d’éditions. Chacune sera organisée en trois étapes : la préparation, le voyage et la rencontre des artisan(e)s enfin la restitution.
Grâce à des dessins, des enregistrements vocaux, des photos et des textes, Màari restitue les expériences vécues sur les lieux de ces créations ancestrales. Ce reportage décrit un patrimoine vivant par un assemblage de médias. Ces derniers sont choisis spontanément au cours de moments partagés avec les artisan(e)s.
La restitution en France prendra la forme d’une exposition visuelle et sonore proposée à des lieux de notre patrimoine culturel. Un carnet de voyage sera également édité.
Genèse
Je suis née au Cameroun avec trois origines.
J’ai été élevée et éduquée dans trois cultures. Mon père est malien et français ; et ma mère camerounaise.
J’ai vécu au Cameroun pendant dix ans, je suis allée au Mali lors de mon adolescence et enfin, j’ai grandi en France où j’ai effectué mes études.
Pour m’intégrer, j’ai appris de nouveaux codes. Le peu de reconnaissance de la culture africaine en France, notamment sa richesse, sa diversité et sa complexité, m’a manqué pour me construire en tant qu’adulte issue des deux continents. Le dessin, la peinture, la photographie et les textes sont alors devenus pour moi un champs d’exploration continu.
Lorsque j’ai quitté le métier d’éducatrice pour me lancer dans la création artistique, j’ai souhaité me réapproprier la partie africaine de mon histoire.
Au cours de mes allers-retours entre la France et l’Afrique, je me suis intéressée à la tradition orale ainsi qu’aux savoir-faire locaux.
Les techniques de tissage en Afrique proposent un éventail chamarré de motifs ainsi qu’une myriade de matériaux et de couleurs (coton, laine, soie, écorce battue, perles…).
L’inventivité plastique et esthétique qui y est déployée me subjuguait.
Au-delà de l’objet textile, des ramifications sociales apparaissent dans ces pratiques. Or ces savoir-faire disparaissent : les productions industrielles proposent sur le marché africain des tissus de basse qualité au dépend de leur attrait artistique et surtout de leur fonction symbolique.
Dans ce trajet, j’ai réalisé que ma triple culture me permettait d’être un pont entre l’Afrique et l’Occident.
En Afrique, l’usage d’un tissu traditionnel n’était pas un acte anodin. Le porter était associé à une appartenance sociale, au symbolisme du pouvoir, aux coutumes funéraires, agraires et rituelles.
Les techniques de production elles-mêmes alimentaient les relations sociales ainsi que la transmission de savoir-faire et de codes symboliques au sein d’une société orale.
Aujourd’hui le processus de fabrication évolue à plusieurs niveaux : technique, usage ou même valeur marchande. La détérioration de la symbolique de ces tissus se matérialise jusque dans certains musées.
Selon moi, être artiste c’est être conscient de la qualité nécessaire dans sa relation à la matière et dans sa relation à l’autre.
Ma triple origine m’a permis de m’intéresser aux questions de patrimoine, mon activité artistique en porte l’empreinte. L’art sous toutes ses formes m’apparait comme un outil de transmission.
Par lui, il sera toujours possible de restituer la mémoire, de « laisser des traces » comme le signifie le mot « Màari » au Mali.
Beaucoup de territoires concernés par le tissage traditionnel en Afrique sont aujourd’hui dans des zones de conflits. Présenter une partie de ce patrimoine en France puis en Europe, m’appuyer sur les institutions culturelles, bénéficier d’un réseau de diffusion, de lieux de résidences, de lieux d’exposition est pour moi une manière de faire se rencontrer différentes cultures de valeurs.
« Un peuple qui ne connait pas son passé, ses origines et sa culture ressemble à un arbre sans racines »
Marcus Garvey
Perspectives
Le projet Màari englobe une recherche, un voyage, des rencontres, une création, une exposition, un livre édité. A l’opposé d’un répertoire, j’aborde la transmission du même patrimoine par une création à la frontière entre documentaire et performance artistique. L’objet « tissu » est mis au centre de l’attention comme un acteur vivant porteur d’une histoire collective.
L’exposition se veut pédagogique. A l’instar des modalités internationales de sa création, elle aura pour vocation de voyager d’Europe en Afrique.
Après qu’elle ait été présenté en France et en Europe, succèderons différents lieux d’accueil en Afrique (Musées ou encore écoles de Beaux-Arts sur place) mais également lors de biennales artistiques comme la Biennale de l’Art Africain Contemporain à Dakar (Sénégal).
C’est une aventure qui vise à nous relier, à tisser les maillages de la Mémoire de demain. Elle est artistique mais avant tout humaine.