Sylvie sait défaufiler le Ndop depuis son enfance.
Avant de commencer son travail elle laisse systématiquement le tissu un peu de temps au soleil. Elle explique qu’il est plus facile de défaufiler lorsque la fibre de raphia tissée est très sèche. L’échantillon qu’elle va travailler est déjà en partie défaufilé.
La préparation débute : Sylvie étale une bâche près de son banc puis va dans sa maison. Peu après elle apparaît avec un masque en tissu sur le nez, deux couteaux de cuisine dans une main et un gant de jardin à l’autre.
La bâche va protéger le sol des fibres de raphia qui tombent pendant le défaufilage. Sylvie m’explique qu’une fois que ces dernières ont été touchées par la teinture, elles ne se dégradent pas naturellement dans la terre. Elle les récupère sur la bâche afin de pouvoir les jeter. Le masque lui sert de protection contre les vapeurs qui émanent de la teinture lorsqu’elle défaufile les fibres. Je comprends qu’elle se protège – comme elle peut – des nouvelles teintures chimiques présentes sur le marché.
La teinte indigo nécessaire dans la conception du Ndop provient de l’indigotier. Il s’agit d’une plante verte originaire des régions tropicales d’Asie et d’Afrique. La fabrication de l’indigo nécessite la fermentation de feuilles qui évolueront dans un liquide alcalin afin d’obtenir un nuancier de sept à douze couleurs de bleu intense grâce à l’oxydation de l’air.
Dans plusieurs traditions africaines le bleu est un symbole de protection. Cette couleur considérée comme céleste est censée faire le lien entre les humains et le divin. Dans le cas du Ndop, l’ensemble tissu, symboles et couleur indigo permet le lien entre le monde visible et le monde invisible. Le bleu est indispensable dans sa conception.
Au dix-neuvième siècle l’industrialisation a eu un impact non négligeable sur les teintures. Aujourd’hui les artisans qui travaillent l’indigo de manière naturelle sont rare. Les teintures retrouvées sur le marché – majoritairement conçus à base de pétrole, de métaux lourds et de colorants azoïques – sont chimiques. Ces dernières en plus d’être un désastre écologique, contiennent de nombreuses substances toxiques et cancérigènes. A ce jour, il n’existe pas au Cameroun de mesures pour réglementer leur utilisation ni de label permettant de différencier le vrai du faux indigo.
Sylvie s’attelle à sa tâche. Elle tient le tissu de sa main gauche et la main droite taille les fibres de raphia sur le tissu à l’aide du couteau. Quelques mouvements vers le bas, puis quelques mouvements vers le haut et à nouveau des mouvements vers le bas… Sylvie s’applique et prend le temps nécessaire afin de ne pas abîmer le tissu. Le défaufilage est une tâche longue qui peut lui prendre un mois pour un tissu de deux mètres sur un mètre vingt.
Le silence se fait, les gestes s’enchaînent. De temps à autre Sylvie se sert du deuxième couteau pour aiguiser le premier. Puis les gestes reprennent. Les symboles cachés apparaissent en blanc après son passage. Les fibres de raphia tombent sur la bâche près de ses pieds. Et les gestes continuent.
Au bout d’une trentaine de minutes, Sylvie baisse son masque sous son menton parce qu’elle a chaud. Puis les gestes reprennent. Encore et encore.
Son vêtement, le gant qu’elle porte et sa main deviennent bleus.
Sylvie se rappelle qu’il y a une quinzaine d’années, la teinture qui se faisait au nord ne déteignait pas. Depuis que des artisans de l’ouest se sont mis à la faire eux mêmes, elle sélectionne des vêtements – destinés à être jeter – pour défaufiler les fibres de raphia. Parfois la teinture du tissu est tellement chimique – sans ou avec peu de fixateurs – que cette dernière traverse le tissu de ses vêtements et apparaît sur sa peau. Sylvie doit se laver au moins trois fois le corps et les mains à l’aide d’une éponge pour qu’il n’y ait plus de traces de bleu.
Le silence se fait. Je ne peux m’empêcher de penser que malgré les douches les teintures chimiques peuvent pénétrer la peau et les organes respiratoires de Sylvie. Quel est leur impact sur sa santé ?
Sylvie dit avoir vu des artisanes développer des maladies qu’elles n’avaient pas avant. Il n’est cependant pas possible de relier ces pathologies aux teintures chimiques sans études ni recherches. Selon elle l’utilisation de produits chimiques dans les teintures est liée à un problème de rentabilité pour les artisans. Malgré sa conscience de la possible dangerosité de ces derniers, elle pense que personne n’y peut rien parce que le phénomène est aussi répandu à l’alimentation et aux terres.
« Si tu veux éviter de te mettre en danger, n’achète rien sur le marché. Tu vas faire comment ? Par besoin, tu es obligée de te ravitailler sans savoir comment l’autre a procédé pour la culture de sa terre. Alors la teinture… ».
Quelques mouvements vers le bas, puis quelques mouvements vers le haut et à nouveau des mouvements vers le bas… Le silence se fait. Les gestes s’enchaînent. De temps à autre, Sylvie se sert du deuxième couteau pour aiguiser le premier. Puis les gestes reprennent. Les symboles cachés apparaissent en blanc après son passage. Les fibres de raphia tombent sur la bâche près de ses pieds. Et les gestes continuent. Encore et encore.
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