Dans le royaume Batoufam l’éducation de tout individu y compris du roi s’appuie sur la culture Bamiléké et sur ses valeurs. Ces dernières sont représentées à travers l’art – la forge, la sculpture, la peinture, le Ndop, les costumes, la danse, la musique –, pilier essentiel de la culture.
La chefferie est une sorte de musée à ciel ouvert et un labyrinthe impressionnant : elle est parsemée de longs couloirs, de traversées de cours et de nombreuses portes basses. Les bâtiments construits à différentes époques sont faits en matériaux naturels et selon des techniques locales. Les sculptures y mettent en avant le patrimoine Bamiléké. Des statues siègent dans les cours, les innombrables portes et fenêtres sont sculptées. Ces dernières accompagnent les individus au sein de ce lieu où des peintures illustrent les scènes de vie culturelle.
Ibrahim est le sculpteur officiel du roi.
Il a grandi dans un village au nord de Batoufam. Son intérêt pour la sculpture nait lorsqu’il est enfant. Admiratif de son père sculpteur, il débute en s’exerçant sur des noyaux d’avocats. A peine adulte, le roi Batoufam le choisit pour réaliser les sculptures qui se trouvent dans l’ensemble de la chefferie. Il devra dès s’installer au sein du royaume et être au service du roi. Ibrahim n’est libre que partiellement de ses créations. Le roi conte les histoires liées à la tradition et à la culture Bamiléké qu’il souhaite immortaliser.
Ibrahim trouve alors la manière de matérialiser ces dernières à travers la sculpture. Chacune d’elle retrace l’épopée, les codes sociaux, culturels et traditionnels du peuple Batoufam. Elles représentent un moyen de transmission aux futures générations.
Durant mon séjour à la chefferie, Ibrahim a eu le désir que nous partageons un temps ensemble pour sculpter un plateau de bois selon sa technique : avec une gouge et un marteau fait maison. Nous commençons au dessin, sculptons, puis finissons par la peinture qui se fait avec du charbon et de la boue. Durant une après midi, il m’initie aux représentations et croyances sculptées au sein de la chefferie.
Représentations et croyances sculptées et peintes au sein de la chefferie :
Le lion est le symbole – universel en Afrique – de la royauté.
L’araignée mygale est l’être qui permet de communiquer avec les ancêtres. Souvent utilisée dans les rites divinatoires, elle invite particulièrement le roi à la clairvoyance.
La tortue peut vivre entre 100 et 150 ans. Sa longévité renvoie aux personnes âgées. A partir de 50 ans, les Hommes sont considérés comme des êtres sages : à cet âge, toute personne a connu des échecs, des réussites, des erreurs de la vie qui ont permis de gagner en maturité et en expérience. Ils peuvent alors donner des conseils aux plus jeunes.
Le caméléon est un être vivant valorisé dans la culture Bamiléké. Sa démarche est lente, ce qui est considéré comme une vertu. Dans la forêt par exemple lorsque la gazelle est en danger, elle court. Quand elle s’agite dans tous les sens, elle ne prend pas le temps d’éviter les pièges. Le caméléon lui vérifie à multiples reprises avant de poser une patte au sol. Le roi et le peuple doivent prendre exemple sur lui : toute décision demande du temps de réflexion. Le caméléon a également la capacité de changer de couleur. Cette faculté lui permet de s’adapter dans toutes situations. Le roi et chaque membre du peuple doivent s’adapter à tout environnement qui leur est proposé.
En pays Bamiléké La calebasse est utilisée pour récolter les céréales, les haricots, le maïs,… C’est également un objet qui contient l’eau – élément essentiel à la vie – . Sa présence rappelle au roi qu’il doit prendre soin de son peuple. Chacun de ses membres ont aussi le devoir d’apporter sa contribution pour en faire de même. Elle symbolise le partage et le vivre ensemble.
Le cor et la double cloche sont l’alliance de deux instruments qui incarnent la complémentarité du peuple et des nobles, du visible et de l’invisible. Il évoque une interdépendance entre la sagesse des anciens et la vigueur des jeunes.
Les principes moraux de la vie quotidienne pour le roi et pour le peuple :
L’homme qui masque ses yeux :
L’on n’est pas obligé de tout voir, tout savoir, tout comprendre. Cette sculpture met en garde tout Homme contre la tentation de contrôle. De même, il faut éviter d’être curieux de manière malsaine. Personne ne peut entrer dans la vie privée de quelqu’un sans y avoir été invité.
L’homme qui masque ses oreilles :
Dans un monde fait de paroles chacun doit apprendre à discerner les informations qui lui feront prendre des décisions justes… de celles qui l’amèneraient à se tromper. De même, sans preuve d’une situation il ne faut pas réagir ni relayer les informations.
L’homme qui se masque le bouche :
Dans la tradition africaine en général et particulièrement chez les Bamiléké, il est dit qu’il ne faut pas donner de conseils si l’on n’a pas déjà expérimenté les étapes de la vie. La sculpture symbolise le fait de rester sur la réserve et de ne pas parler sans réfléchir.
L’homme qui masque son sexe :
Ce dernier représente la pudeur. Il est recommandé aux hommes la maîtrise et aux femmes une certaine retenue. Mais cette sculpture peut également avoir un autre sens : il s’agit de ne pas exposer ses biens matériels afin de ne pas attirer la convoitise chez les autres.
Les femmes :
Au sein de la chefferie de nombreuses sculptures représentent les femmes, certains espaces leur sont dédiés. Plusieurs éléments liés à elles sont illustrés et interpellent sa fonction. Elle est donc souvent représentée sous le prisme de la femme-mère.
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